Rencontre avec Mossi Traoré, le créateur qui initie la banlieue à la Couture
C’est dans le centre culturel, L’Escale, en plein cœur de Villiers-sur-Marne, que le Mossi Traoré m’a ouvert son atelier de couture. Mossi Traoré, jeune styliste de 34 ans du Val-de-Marne originaire du Mali, est le fondateur de MOSSI : une marque de prêt-à-porter 100% made in France (et "made in Banlieue" comme il l'indique sur son site) pensée dans un esprit d’inclusion. En 2015, Mossi fondait les Ateliers Alix : une école ayant pour ambition de former en haute couture des jeunes de quartier afin de favoriser leur insertion professionnelle.
En octobre 2018, Mossi présentait au Carrousel du Louvre un pop-up et une exposition intitulée « Etoile de Lune », projet photographique réalisé à Agra au Taj Mahal avec Marie-Agnès Gillot, danseuse étoile et muse de Mossi. Peu de temps après, il lançait Les Âmes de la Cité, un projet social souhaitant mettre en lumière les jeunes habitants de la Goutte d'Or et de Villiers-sur-Marne. Quant à MOSSI, lors de la Fashion Week parisienne, la marque s'est dévoilée au sein du showroom Designers Apartment de la Fédération française de la Couture sous un nouveau jour, une nouvelle image, une identité couture, poétique et architecturale. La marque a récemment annoncé rejoindre le calendrier officiel de la Paris Fashion Week pour la prochaine saison SS21.
Comment as-tu commencé dans le milieu de la mode ?
Mon parcours est assez particulier par rapport à d’autres jeunes créateurs. J’ai découvert la mode très jeune en découpant des vêtements. Et je me faisais des garde-robes. A cette époque, j’étais jeune et le but était d’être bien habillé. Pendant mes années lycée, à travers mes escapades dans les grands magasins, je suis passé de l’envie d’être bien habillé à celle de créer des looks. Je cherchais aussi à me distinguer et à affirmer ma personnalité. Au quartier, j’aimais être différent, au début tu as le droit à quelques moqueries, mais tant que j’avais la cote au lycée, j’étais content.
Comment t’es-tu lancé en tant que créateur ?
J’ai su très rapidement que c’était dans le secteur de la mode que je voulais travailler. Pendant mes années lycée, je me suis renseigné sur les formations en stylisme et le prix des écoles de mode ne m’a pas effrayé. Lorsque j’ai vraiment envie de faire quelque chose, je le fais, je ne lâche pas. Je me suis dit que j’allais trouver une solution quoiqu’il arrive. J’ai été pris à l’école Mod’Art International et j’ai eu la chance de travailler comme vendeur chez Zara en parallèle de mes études. Je me souviens que pour rentrer dans mon école, la responsable des admissions m’avait demandé de faire des petites recherches, elle voulait vraiment voir si j’étais motivé. Elle m’avait demandé d’aller visiter une exposition au Musée des Arts Décoratifs, sur Yohji Yamamoto. Je n’avais alors aucune culture mode mais lorsque j’ai vu son travail, j’ai été abasourdi, il s’éclatait dans ses créations. Je me suis alors rendu compte que créer des vêtements, c’était être libre. Aller voir cette expo m’a conforté dans l’idée que je pouvais être fou, libre et créatif. Je n’ai pas finalisé mon cursus scolaire. J'ai tenu deux ans. Je travaillais à ce moment-là chez Armani en tant que vendeur. Je suis alors passé du prêt-à-porter de masse au prêt-à-porter de luxe : les attentes du client en termes de produits et de qualité sont
totalement différentes.
Qu’est-ce qui t’a donné envie d'ouvrir ton propre atelier de couture ?
Au départ, j’avais une première marque avec une amie originaire de Chine, qui s’appelait ZHEN & MOSSI. C’était un tout autre projet. Mais sur Internet on trouve plus facilement ce que j’ai fait avec mon ancienne marque que celle d'aujourd’hui. On peut dire MOSSI est une toute nouvelle aventure, à l’univers très différent. Aujourd’hui, je travaille avec mes propres idées. A deux, il faut parfois mettre son égo de côté et accepter d’aller dans le sens du partenaire.
Les Âmes de la Cité par @gorkemunalphotography
Quelles sont tes inspirations ?
Je suis quelqu’un de très curieux. C’est important pour moi d’être attentif à ce qui m’entoure. C’est un métier où notre quotidien, nos voyages et notre environnement deviennent des inspirations. Je me suis tout à coup mis à beaucoup bouger : en Italie notamment alors que j'étais en stage à l'Opéra Garnier (comme habilleur). Mon vêtement phare, c’est le sari. Je vais une fois par an en Inde. Je peux même m’y rendre trois fois dans l’année. Ne serait-ce que de voir une femme indienne, le matin, sur un quai de gare : l’observer marcher, voir son sari en mouvement me donne de l’inspiration.
Le travail artistique des autres me stimule : les artisans avec lesquels nous travaillons nourrissent ma soif d’idées. Il y a toujours cette envie de raconter des histoires : partager les émotions qui peuvent jaillir d’un moment à l’autre. Il y a des pluies d’inspirations dans lesquels je vais souvent puiser : les mangas, la danse hip-hop, la culture japonaise. Mes créations aujourd’hui sont très « japonisantes ». J’aime l’aspect épuré, minimaliste toujours dans un esprit architectural : une sorte de poésie autour du vêtement. Je suis fasciné par ce qui est en mouvement. La danse est l’art du mouvement dans l’espace et dans le temps. Cela se ressent totalement dans mes vêtements qui sont souvent très fluides. J’essaie de faire sentir cet art du mouvement .Lorsque je crée un vêtement pour une femme, je cherche à raconter une histoire à travers les corps. Je ne prétends pas embellir le corps des femmes, rendre la femme plus belle. Le corps de la femme est la base majeure sur lequel je vais m’exprimer à travers mes vêtements.
Alors que toute la mode est centrée à Paris, créer ton école de Mode à Villiers, était-ce une manière de sortir du "parisianisme" ?
Paris reste une profonde histoire d’amour. C’est une grande partie de ma vie (il y que dans le foot où je suis un traître car je soutiens l’OM). Paris reste une ville inspirante par sa diversité – certes, il y a le Paris très chic – mais il y aussi le Paris ouvert, populaire que l’on a tendance à oublier. C’est ce que j’aime à Paris : d’un quartier à l’autre, nous nous nous retrouvons dans diverses atmosphères. C’est ce qui fait son charme. Il est vrai que la majorité des entreprises et écoles de mode sont implantées sur Paris. Tout se fait sur Paris. Il est important de décloisonner les choses et c’est ce que je cherche à faire à travers mon travail. Nous avons installé notre atelier ici, en banlieue, parce qu’il y a des choses merveilleuses à faire ici et puis au final, pour aller à Paris, on ne met que 20 minutes. Nous pouvons créer des passerelles avec la Capitale, faire en sorte que des projets majeurs se produisent aussi en banlieue. La banlieue a son mot à dire. Elle inspire les acteurs de mode. Mon but est de créer une mode ouverte et surtout accessible. Nous faisons en sorte que les cours à aux Ateliers Alix soient accessibles pour toutes et tous.
Quelques créations MOSSI
Comment est reçue ta formation par les jeunes avec lesquels tu travailles ?
Nous recevons plein de jeunes : des très ambitieux, motivés, professionnels - mais je remarque qu’aujourd’hui, il y a une nouvelle génération. Les jeunes veulent tout de suite, ils sont peut-être moins patient qu’à mon époque. Créer cette école et former les jeunes à la Haute Couture, c’est une manière à la fois de préserver un savoir-faire, et donner la chance de former des jeunes à ce savoir-faire qui malheureusement est un peu voué à disparaître. La Haute Couture n’est plus vraiment enseignée dans les écoles de mode privées et publiques. J’essaie donc de convaincre des jeunes que se former à ce savoir-faire est essentiel. Mais les jeunes avec qui nous travaillons, que l’on prend en stage, découvrent aussi la réalité du métier : ce n’est pas juste les défilés, les magazines ou le fait d’habiller des personnalités. Je mets en garde mes élèves sur le milieu. Le plaisir, il faut aussi le chercher ailleurs que dans les magazines de mode. Un créateur de mode doit savoir faire face à beaucoup de choses, surtout au début de sa carrière : la création représente 10 à 20% de notre travail. Le reste du temps, nous cherchons à trouver des solutions aux problèmes, notamment administratifs. Il y a aussi la question économique. On m’a souvent dit que j’étais peut-être plus crédible que d’autres dans ma démarche sociale. J’estime que peut-importe le milieu d’où tu viens, même chic, si tu as envie de faire une mode plus sociale, why not ? Tant mieux, j’ai envie de dire. Tout le monde peut apporter sa pierre à l’édifice. Cela montre que des acteurs issus de la banlieue peuvent créer une dynamique en dehors de leurs environnements.
Qu'attends-tu des élèves ?
Nous vivons une époque, où même si tout va vite et où la concurrence fait rage, il y a aussi plus de moyen de s’exprimer. Je reconnais parfois être un peu nostalgique mais la nouvelle génération est tellement dynamique, moins patiente, affamée ! Ils veulent tout vite, ils ont les crocs, créer leur marque : une génération énergique qui apporte de la fraîcheur.
Défilé MOSSI de 2019 - Photo de Georges Stratigis & Mariflor Zapatero
As-tu rencontré des difficultés au début de ta carrière ?
Lorsque la porte est fermée, je passe par la fenêtre. Je ne lâche rien. Quand on vient de banlieue, on est aussi très débrouillard. Le dernier gros projet que l’on avait fait avec mon équipe, c’était un shooting photo au Taj Mahal. C’était un gros challenge, d’autant plus qu’il fallait convaincre les autorités indiennes. Mais nous avons pu réussir ce projet, parce que nous étions déterminés. Il faut être rêveur, rester ouvert d’esprit, n'avoir aucune limite, aucune peur. Les obstacles que j’ai rencontré sont surtout des projets que je n’ai pas pu faire dans l’immédiat, mais que j’ai pu réalisé plus tard, parce que cela reste avant tout une question de travail, de rigueur. Dans tous les cas, il faut toujours essayer. Il ne faut surtout pas croire que si les choses ne se passent pas comme l’on avait prévu, c’est un échec total. Les échecs font aussi partis de la réussite. Chaque expérience nous apporte.
Je n’avais pas vraiment le réseau pour réussir dans ce milieu. Personne n’allait m’ouvrir la porte, il a fallu toquer soi-même.
Peux-tu nous parler de ce projet au Taj Mahal?
Chaque année, je fais un projet entre la France et l’Inde où je mets en avant le patrimoine artistique et culturel des deux pays. Le premier projet était la rencontre entre Marie-Agnès Gillot, danseuse et chorégraphe française, étoile du ballet de l'Opéra de Paris et le Taj Mahal. Une mise en scène artistique avec une exposition photographique qui avait eu lieu au Carrousel du Louvre. Ce projet se nomme Étoile de Lune. Il raconte une rencontre entre une étoile et la lune. J’adore créer les tenues pour des mises en scène d’expositions ou de spectacles. La femme qui m’inspire est diverse : cela peut être celle qui a une belle ascension sociale. C’est pour cela que j’ai adoré travailler avec Marie-Agnès Gillot, une femme de caractère avec un parcours impressionnant et une personnalité. C’est tout un art de réussir à devenir danseuse étoile à l’Opéra de Paris : un long processus de sacrifices. Ce sont des choses qui me touchent, par rapport à là d’où je viens et du milieu de mes parents, c’est-à-dire très ouvrier. Je n’avais pas vraiment le réseau pour réussir dans ce milieu. Personne n’allait m’ouvrir la porte, il a fallu toquer soi-même.
Que cherches-tu à faire ressentir à travers tes vêtements ?
A partir du moment où mes vêtements suscitent des questionnements, j’ai rempli une grosse partie de mon travail. Je veux faire jaillir quelque chose dans les esprits. Les créateurs ont aussi leurs parts de mystère. Ces questions amorcent des nouvelles pistes de travail pour les créateurs. Un même vêtement, je peux le travailler sur plusieurs saisons. Je cherche à susciter de l’émotion chez les gens ou même des critiques. Je préfère faire un vêtement unique qui va susciter des critiques, plutôt qu’une copie qui va me faire gagner beaucoup d’argent.
Qui est-elle la femme MOSSI ?
Elle est tout le monde. Une personne avec une fibre artistique, qui a un intérêt pour l’art. C’est une femme aux quatre coins du monde qui souhaite raconter son art. Pour moi, le vêtement est une passerelle de rencontres. La mode peut se raconter de milles manières. Pas qu'à travers les magazines de mode ou les influenceurs. Ce qui est inaccessible, on va le rendre accessible, d’où l'importance de l'école de mode.
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