Lux Æterna : une seconde avant la crise
Béatrice Dalle et Charlotte Gainsbourg sont réunies pour la première fois à l’écran par Gaspar Noé, à l’occasion d’une carte blanche initiée par Anthony Vaccarello, directeur artistique de Saint Laurent. Le résultat ? Un moyen-métrage ovni de 52 minutes tourné la nuit, en cinq jours, qui interroge plus par sa forme que par son fond à l’ère où le cinéma n’a pas d’autre choix que celui de se réinventer.
En 2002, peu de temps après la séance mythique d’Irréversible au Festival de Cannes,
Frédéric Taddéï, alors animateur de Paris Dernière retrouve le réalisateur au Wepler,
célèbre brasserie située place de Clichy : « J’avais vraiment l’impression, dit le journaliste au cinéaste, que là-bas (à Cannes, NDR), ils étaient prêts à allumer un bûcher et à te coller dessus ! ». Ironie du sort, ce mercredi 16 septembre, soit 18 ans plus tard, c’est Charlotte Gainsbourg qui se tient sur le bûcher et la séance aura lieu, non loin de là, au Pathé Wepler à 20h45.
Sorcières : la puissance invaincue des femmes
Le film s’ouvre sur une dialogue entre Béatrice et Charlotte, dont les prénoms sont inchangés
dans le film. Dans une atmosphère intime, éclairée au feu de cheminée, on pourrait
s’imaginer un instant qu’elles sont seules, loin de tout. Cela sera sans compter sur les
allers et venues de l’équipe technique qui fait monter la tension du tournage (Béatrice réalise un film avec Charlotte dans le rôle d'une sorcière). On apprendra plus tard que la séquence de 12 minutes est improvisée et constituée
d’anecdotes personnelles des deux actrices. Béatrice Dalle mène le jeu, avec le ton direct et naturel qu’on lui connaît. Elle lance : « t’as jamais brûlé sur un bûcher? ». Charlotte répond « Ah non, non, non, non »… bien qu’elle ajoute avoir toutefois brûlé sous une construction en bois (une référence à la scène finale de Melancholia). Béatrice renchérit « C’est
classe, (…) parce que t’es la reine du village à ce moment-là ».
Les rôles de sorcières, on peut dire que Béatrice Dalle les connaît bien. L’histoire a commencé chez Bellocchio en 1988 dans La sorcière. Fan absolue de Pasolini, qu’elle considère comme un de ses héros, l’actrice se fait un plaisir de l'évoquer lors d’un monologue fascinant sur les sorcières.
Béatrice Dalle dans le film La Sorcière
Voyage pop-trash aux effets stroboscopiques
Pour Lux Aeterna, « la lumière éternelle » en latin, le réalisateur de Climax s’est intéressé à l’épilepsie. Le film s’ouvre d’ailleurs sur une citation que l’on doit à Dostoïevski, sujet à des crises de cette maladie : « Vous êtes tous en bonne
santé mais vous ne pouvez pas vous douter du bonheur suprême ressenti par l’épileptique une seconde avant la crise. Tout le bonheur que l’on reçoit dans une vie, je ne l’échangerais pour rien au monde contre celui-ci » .
Nous ne serons donc pas étonnés par la montée en puissance des stimuli lumineux jusqu’au final épileptique, pour achever l’ « expérience cinéma » si chère au cinéaste avant-gardiste. Le chiffre "3" tient aussi une place particulièrement importante dans le film.
Dans le christianisme , la Trinité évoque le Dieu unique en trois personnes : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
Le film est proposé sous trois angles de vues : la caméra utilisée pour le film réalisé par Béatrice Dalle, la caméra de Tom Kan qui suit Béatrice partout pendant le tournage (le vidéaste et photographe est à l’origine des génériques d’Enter the Void et de Climax) et celle de Gaspar Noé. Trois sorcières sont présentes sur le plateau de tournage (Charlotte Gainsbourg est entourée de Abbey Lee Kershaw et Mica Argañaraz). Le splits-creen se présente sous la forme du triptyque : un écho direct à le représentation des scènes de sacrifices religieuses. Et les couleurs dominantes sont le rouge, le vert et le bleu (RVB) soit le modèle colorimétrique utilisé pour les écrans qui permet de coder une couleur. C'est par le mélange de ces trois teintes que le cerveau est capable reconstituer toutes les couleurs.
Charlotte et Béatrice ensorcelant les marches de Cannes 2019 en Saint Laurent
Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse
C’est donc un objet cinématographique à part que nous soumet Gaspar Noé dont le scénario tenait au départ en quelques lignes. A l’heure où séries explosent, les durées des films s’étirent, et la question du format devient centrale. Alors doit-on parler d’un essai ? S'agit-il d'une forme qui pense ? Il semblerait que oui. Du moins, Gaspar Noé, semble s’affranchir du fond, et parle très librement de la part d’improvisation et de la liberté de jeu des acteurs, pour la plupart non-professionnels. Le moyen métrage livré par Noé peut irriter par son fond, mais on ne peut lui reprocher l’expérience nouvelle proposée par sa forme : 52 minutes dans une salle de cinéma, dans les coulisses d’un cauchemar pour mieux donner à voir le monde qui nous entoure.
Comments