Daft Punk et l'art du masque
Bas les masques ! Bonjour les casques
L'autre nouveauté de Discovery, c'est que pour sa commercialisation, les deux complices sont devenus des robots n'apparaissant plus qu'affublés de casques intégraux et accordant des entretiens au compte-gouttes à la presse. Finis les hommes à tête de chien, les images truquées, place à une nouvelle image plus travaillée. Le duo se fait construire sur mesure des casques dessinés par les graphistes français Alex & Martin qui seront ensuite réalisés par Tony Gardner, spécialiste des effets spéciaux des films hollywoodiens. Le magazine anglais The Face (février 2001) les fait poser en robots. Pour la première fois, ils font quelques rares apparitions à la télévision. Thomas et Guy-Man inventent une histoire autour de leur renaissance. Leur nouvelle apparence serait le résultat d'un accident incroyable. Thomas Bangalter raconte : « Nous n'avons pas choisi de devenir des robots. Il y a eu un accident dans notre studio. Nous étions en train de travailler sur le sampler quand, le 9 septembre 1999, à 9h09 très exactement, il a explosé. Lorsque nous avons repris conscience, nous étions des robots ».Depuis, ils vivent à Robot Ville, un endroit où ils peuvent s'amuser en faisant de la bonne musique, et ne réaliser que des choses auxquelles ils croient, la célébrité occupant moins de place que l'envie de vivre une vie normale.
Plus tard, en 2005, ça empire. Aucun entretien n’est accordé aux médias et aucun visuel fourni à la presse. Certains magazines musicaux renoncent alors à faire leur une avec le groupe ou même à parler d’eux. Refus du star-system et du culte de la personne, méfiance, réflexion inquiète sur la déshumanisation de notre société, les Daft ne sont plus aujourd’hui qu’un duo de robots aux casques hors de prix.
L'effacement a été progressif. Dans leur premier clip, le révolutionnaire « Da Funk », et son homme à tête de chien, le héros de l'histoire est un homme-chien marchant avec un ghetto-blaster dans New York et dans la vidéo d’ « Around The World », ce ne sont que des figures masquées que l’on voit danser. Guy-Emmanuel et Thomas sont absents de la chorégraphie, comme ils sont cachés dans leurs apparitions promo. Au tout début de leur histoire, les punks timbrés montraient encore leurs visages (comme en 1996, sur la couverture du magazine anglais Jockey Slut), avant de commencer à s’engager - au moment de la sortie d’Homework-, dans un processus de destruction de la personne. Ce dernier les amènera plus tard à n’apparaître plus que sous forme de robots dont les costumes seront dessinés par l’ex Mr Dior, Hedi Slimane (aujourd'hui à la tête de Saint Laurent).
En 1997, quelques jours avant la sortie de leur premier album, le groupe retouche ses photos de presse et enfile les masques : des loups de carnaval dans une session pour le NME, des logos Daft Punk sur écussons en guise de lunettes, des masques de diables, de grenouilles, de chiens. Mais la presse peut encore questionner le tandem à visage découvert. Dans le NME du 25 janvier 1997, ils justifient leur démarche. « Nous refusons d’inventer une image juste parce que les médias l’exigent. Nous faisons de la musique mais nous ne sommes pas des stars, et cette musique signifie plus que de la pop et des égos pop.(…)Peut-être que les gens voudraient en savoir plus sur nous, mais ils ne sauront rien. Nous ne laisserons pas cela arriver. (…) Nous ne voulons pas agir comme de grosses rock stars avec de gros égos et nous ne prêtons pas attention à ce que les gens pensent de nos tee-shirts ou de nos coupes de cheveux. » Dans le NME du 12 avril 1997, où le duo fait l’objet d’une double page avec une photo d’eux portant des loups, Thomas ajoute : « Tout ce que nous essayons de montrer avec nos masques c’est que nous n’essayons pas de jouer le jeu du star system. » Ils expliquent également dans Les Inrockuptibles, en 2001 : « Avec les casques de robots nous trouvons nos têtes plus belles que nos têtes humaines. Les robots sont beaucoup plus amusants que nous sur la couverture des magazines. Quelle est la part de calcul et celle de la pudeur ? Impossible de répondre. On est prêts à donner beaucoup de choses, beaucoup de nous - mais en musique, sans nécessairement payer de notre personne. »
Extrait du livre Daft Punk - Humains Après Tout de Violaine Schütz aux Editions Camion Blanc
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