3 questions à Lola Levent, qui se bat au jour le jour contre les agressions dans la musique
Lola Levent fait partie de celles qui font bouger les lignes. Digital poet, manageuse de Joanna et LouCRL et journaliste musicale spécialisée dans le rap, elle se bat également pour offrir des ressources aux femmes afin de mieux lutter contre les agressions sexistes et sexuelles. Elle a fondé en ce sens @diva_infos et co-fondé @changededisque_, s'imposant ainsi comme l'une des voix majeures du mouvement #MusicToo. On a lui posé trois questions alors qu'on réalisait un sujet pour Cheek sur le traitement médiatique problématique des stars MTV des années 90/2000.
Dans le récent documentaire Framing Britney Spears produit par le NY Times, on voit combien les médias ont joué dans sa descente aux enfers. Un journaliste demande à Britney, qui est encore une enfant, si elle a un petit ami. Un autre lui dit, alors qu'elle est ado, que tout le monde parle de ses seins. Comment était-ce possible que personne ne dise rien, que ça semble normal ? Comment était l'industrie avec les femmes dans les 90's ?
Pour ma part, j’ai grandi avec la média culture des années 1990 et 2000 : les tabloïds, les magazines pour fans, les magazines féminins. Aujourd’hui, je ne vois pas d’autre façon de dire les choses : ces médias ont participé à l’éducation de mon regard, ou plutôt à sa "dés-éducation". Mon opinion d’adolescente était fabriquée de toutes pièces par leurs représentations aliénantes de la femme. Ces deux décennies ont permis l’invention de nouveaux modèles fantasmés de femmes qui ont infiltré la culture au sens large. Je pense d’une part que les cris étaient étouffés et de l’autre que la grille de lecture de la culture du viol et du sexisme n’était pas aussi accessible qu’aujourd’hui. On le sait, en France, les études ont toujours eu du retard sur les questions de genre, et par conséquent sur la démocratisation de ces théories également. C’est donc toute une société qui acceptait, cultivait cette maltraitance ou fermait les yeux.
Photo : Lola juste avant la manifestation du 8 mars / Compte Twitter de Lola Levent.
Justin Timberlake apparaît aussi comme très problématique. Il a décrit dans les médias Britney Spears comme une " slut" qui l'a trompée. Et le nipple gate de Janet Jackson était un accident dont il était responsable... Les pop stars hommes avaient souvent un comportement déplacé à l'époque...
Ça, c’est évident ! On l’a vu avec Michael Jackson, R.Kelly, Russell Simmons, Marilyn Manson… et en France, avec Bertrand Cantat. Par ailleurs, je ne veux pas être déprimante, mais quand on s’intéresse au traitement de la chanteuse Aya Nakamura dans les médias et sur les réseaux sociaux aujourd’hui, ces commentaires existent encore. En France, en 2021, avoir un talent immense et du succès, même mondialement, ne suffit pas à faire taire les autres quand on est une femme racisée apparemment…
Les choses ont quelque peu changé avec #Metoo puis #MusicToo. Surtout en France, pour la musique, où les chanteuses se mettent de plus en plus à dénoncer des comportements comme l'a fait Pomme. Es-tu confiante concernant un changement profond de l'industrie musicale face aux accusations ?
Ce qui a déclenché cette vague, c’est la force de frappe d’une génération de femmes qui veut que les choses changent. L’affaire Patrick Bruel a été étouffée. Ce sont les affaires Moha La Squale et Roméo Elvis qui ont renversé la vapeur aux yeux du grand public. Pour moi, il s’agit du croisement heureux entre la popularité d’un genre musical historiquement en avance sur les questions sociales, le rap, et le courage de son public, incarné par des jeunes femmes qui maîtrisent les réseaux sociaux. Maintenant, les choses ont changé d’un point de vue discursif et théorique. Mais empiriquement, qu’est-ce qui a changé ? Le Covid-19 obstrue en partie notre réponse. La forte visibilité donnée par les médias déforme l’autre partie. Cela étant dit, ce qui est certain, c’est que les femmes se parlent. La sororité émerge. Les femmes se confient, elles partagent leurs expériences et des informations et ce dialogue nouveau va permettre de bâtir un premier mur face à la perpétuation des violences sexistes et sexuelles. Aussi, on a appris qu’une structure mise au pied du mur est capable de réagir positivement. Mais qu’en est-il du volontariat et de l’intérêt des autres structures ? Des majors ? Des boîtes indépendantes ? Des médias musicaux ? Se remettent-ils en question et que font-ils pour y remédier ? Vont-ils suivre les modèles que nous allons suggérer avec Change de Disque. Vont-ils retenir une leçon du chemin parcouru par Because Music ? Pourquoi des labels pointés du doigt gardent-ils encore le silence ?
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