La Parisienne fait-elle toujours rêver ?
Comment avoir l'air française en 10 minutes ? Comment être mince comme une Parisienne ? Comment aimer comme une frenchie ? A l’Étranger, en Province et même dans la Capitale, le mythe de la Française et plus particulièrement de la Parisienne fait vendre du rêve, des magazines et des livres. Mais cet idéal si lointain des réalités des vraies femmes ne fait-il pas plus de mal que de bien ?
Pas un mois ne passe sans qu'on écrive des livres et des articles sur les qualités incroyables de la Française, surtout celle qui habite dans les beaux quartiers de Paris et passe ses week-ends à Deauville. Inès de la Fressange et son ouvrage en cuir rouge La Parisienne sorti en 2010 s'est vendu à plus d'un million d'exemplaires dans le monde. Le guide plein de second degré How to be a parisian wherever you are d' Anne Berest, Sophie Mas, Caroline de Maigret et Audrey Diwan publié en 2014 s'est écoulé comme des petits pains au chocolat et le petit dernier du genre, A Paris de Lauren Bastide et Jeanne Damas a rencontré également le succès médiatique et public.
Dans presque toutes les publications sur le sujet, que ce soit en librairies, dans la presse papier et sur le web (The Cut, Who What Wear), la Parisienne est sensiblement la même. Mince, grande, blanche et souvent riche. Enfin assez pour s'offrir du Isabel Marant plutôt que du Monoprix...
Le petit panier de Jane B
Elle ne se coiffe pas mais a toujours l'air charmant, elle se promène en scooter ou à pied mais n'a jamais mal aux petons, mange du fromage, boit du vin et fume mais ne prend pas un gramme. Elle s'habille toujours avec un chic fou même pour aller chercher sa baguette « pas trop cuite » : un trench, un jean et un petit pull, et la voilà prête pour séduire le monde entier. Son béret en laine et son petit panier à la Jane B – la plus frenchie des petites Anglaises - s'exportent à merveille. Les plus fières représentantes de ce « parisian way of life » que le monde nous envie ? Caroline de Maigret, Jeanne Damas, Marion Cotillard, Lou Doillon, Garance Doré, Sarah Lavoine et Camille Rowe. Toutes ont ce « je ne sais quoi » d'effortless, de sensualité, de moue effrontée, d'esprit libre qui fait rêver les hommes et les femmes et vendre des stocks de rouges à lèvres et de chemisiers en dentelle.
Des marques comme Rouje, fondée par Jeanne Damas, Balzac ou Sézane surfent d'ailleurs entièrement sur l'engouement pour le style vintage très St Germain des Près de ces filles qui ont du chien. Et les labels non français prennent des sobriquets hexagonaux pour mieux marketer leur business : Etre Cécile, L’École des femmes...
De Sagan à Deneuve
Mais cette fascination pour le charme discret de la Parisienne ne date pas d'hier. Marie Antoinette s'habillait dans le quartier du Palais Royal et on vantait son élégance au-delà des frontières. Au XVIIème siècle, Madame de Lafayette et Madame de Sévigné tenaient salon en démontrant beaucoup de savoir vivre et d'intelligence. De là est né un véritable mythe autour de la Parisienne qui sait paraître. Sauf que IRL (dans la vraie vie) et dans le monde moderne, cette femme mythique existe-elle ? Combien d'entre elles vivent rue du Bac et peuvent se payer un café au Flore ? Qui ressemble à Brigitte Bardot au petit matin ? La Parisienne n'est-elle pas une chimère ou une licorne inventée pour « brander » des vêtements et du maquillage aux Japonaises, aux Américaines et aux Suédoises ?
Certaines, en France, ont ainsi commencé à pousser des coups de gueule contre ce qui semble être devenu parfois avant tout un coup marketing. Ainsi en 2017, l'ex rédactrice en chef du site du Vanity Fair français, Natalie Dépret, écrivait une tribune dans Slate pour déconstruire cet animal légendaire de la Rive Gauche. Elle écrivait : « La Parisienne est devenue une caricature, une créature engoncée dans un costume ultra codifié. À quoi bon prétendre éviter les archétypes (...) quand on ne fait que renforcer les idéaux d’une féminité stéréotypée? »
Contactée par email, Nathalie nous a précisé son propos : « La Parisienne décrite dans les livres tend à imposer une image consensuelle. Elle contribue à la tyrannie de l’apparence et formate un style de vie. Quand on regarde ce que vend Inès de la Fressange par exemple, on est même à la limite de la caricature. De plus, le marketing derrière la Parisienne me paraît excluant. En effet, la plupart de ce qui est écrit sur le sujet l'est par des femmes plutôt bien nées, blanches, minces et jolies. Au lieu de célébrer la singularité des femmes, elles véhiculent une énième injonction de l’apparence. Mais où parle-t-on des accomplissements des femmes qui vivent à Paris ? Nulle part, on préfère s’émerveiller quand une femme mange copieusement sans grossir. »
L'un des plus gros soucis de cette vision étriquée ? Oublier toute une frange de la population qui taille du 42, vit en banlieue, prend le RER et fait ses courses à Château Rouge. Il y a les Parisiennes d'adoption, les Parisiennes qui vivent ou travaillent au delà du périph, celles qui ne bouquinent pas, ont froid en terrasse et préfèrent les meubles neufs à ceux en rotin chinés aux puces. Imposer une tyrannie du paraître faussement naturel. Et envier les françaises pour leur épatante apparence nonchalante et sexy sans se soucier de la finesse de leur esprit. Car le chic à la française c'est aussi bien Sagan que Deneuve, Virginie Despentes que BB, Simone Veil que Laetitia Casta, Christiane Taubira que Sophie Marceau. A l'heure où l'inclusivité est le maître mot, réduire la Parisienne à un stéréotype est indigne de l'esprit français.
Violaine Schütz / papier paru en mars 2019 dans le magazine L'Edito
Photo : Campagne de la marque Rouje